samedi, décembre 30, 2006

Le retournement

W. POWELL Evolution & Christianity

Un petit extrait du chef d'oeuvre de Volkoff, Le retournement, 1979, (considérez le texte de manière apolitique, ne toisez que l'éloquence et l'universalité du discour). Ici, un dialogue entre Popov (l'agent de renseignement soviétique et Marina "Olga", émigrée russe, une "blanche" (à opposer aux Rouges, bolchevik) au compte des Français: (p244 à 247 édition Livre de Poche)


Il redevint grave, tira sur ta cigarette :

- Bolchevik, cela ne veut pas dire celui qui a la majorité, mais celui qui en veut toujours plus. De majorité et d’autre chose. Quand il atteint B, il vise C, et ainsi de suite. Les imbéciles nous accusent de changer de visage comme eux de chemise ; ils ne comprennent pas que notre visage, c’est précisément cela : le changement. Le bolchak, c’est la grand-route, et le bolchevik, c’est celui qui a enfilé la grand-route. On nous accuse d’opportunisme, c’est accuser le soleil de briller. Quand on avance, le paysage est bien forcé de changer. C’est pour cela que Lénine est le plus grand génie de tous les temps : c’est parce qu’en réalité il n’y a pas de léninisme. Marx est encapsulé dans le marxisme, Engels dans la dialectique ; ils peuvent être dépassés ; Lénine souffle où il veut. Il a écrit Etat et Révolutionn, mais il a aussi organisé la terreur, et il a aussi organisé la NEF. La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité. C’est difficile à comprendre, c’est quelquefois amer à digérer, mais une fois qu’on a accepté, c’est magnifique. La vérité, c’est ce que je trouve dans mon journal d’aujourd’hui. Celui d’hier ment, toujours. Celui d’au­jourd’hui dit la vérité, toujours. C’est pour cela que la Pravda s’appelle la Pravda. La vérité est notre pain quotidien a nous autres bolcheviks, et de même que vous ne vous nourrissez pas des croûtons d’hier, nous refusons nous aussi le pain perdu de l’histoire. S’il n’y a pas de vérité, nous pouvons poser a nôtre. C’est exprès que je ne dis pas « la mienne ». Le moi existe peine, le nous se fait sentir, le nous, c’est déjà une majoration, c’est déjà un bolchevisme. On a eu tort d’ôter le flot bolchevik de l’étiquette du Parti : cela fait croire à certains que le bolchevisme est une forme de marxisme, alors que c’est le contraire. « On ne peut devenir bolchevik qu’après avoir enrichi sa mémoire de tous les biens élaborés par l’humanité. » Lénine. La seule vérité, c’est l’addition. Pas ce qu’on ajoute, l’action d’ajouter. Quiconque se soustrait à l’histoire est soustrait de l’histoire. Parce que la seule vérité, c’est l’histoire, cette addition permanente. A chaque nouvel échelon gravi, on se trouve un peu plus grand. C’est cela, être bolchevik : c’est devenir plus grand.
[…]

Chaque instant qui fait clic nous rapproche du but que nous n’atteindrons pas, comme l’hyperbole l’axe : c’est précisément là notre grandeur qui vous échappe, à vous autres, et à une bonne part de nos propres doctrinaires. Nous ne nous nourrissons pas du beaucoup, comme vos gros-pleins-de-soupe, mais du davantage. Les bourgeois se moquent de notre vision du paradis sur terre. Ils ont raison. Notre paradis est aussi ridicule que leur âge d’or. Le paradis est impossible, ce qui est possible, c’est la progression. Pas le progrès, la progression. Nous ne sommes pas la somme, nous sommes l’addition, vous comprenez cela ? Nous ne sommes pas affectés du signe : nous sommes le signe +. C’est le signe + que nous portons sur notre drapeau, déguisé en marteau et en faucille parce que le siècle est au folklore et au romantisme.

« Vous pensez que ça m’intéresse vraiment, le bonheur du peuple ? Que j’y crois vraiment, à la noblesse du travail ? Le peuple, je l’ai flairé d’assez près : si vos intellectuels qui se lamentent sur le sort des classes populaires avaient passé autant de journées que moi sur des chantiers, autant de nuits que moi dans des baraquements, ils ne s’attendriraient pas autant. Tout peuple a le sort qu’il mérite : ce sont les séquelles lacrymogènes du christianisme qui ont mis à la mode les jérémiades populistes. Pauvres petits moujiks barbus. Sales koulaks réactionnaires, oui. Mais tant mieux : toutes les eaux sont bonnes pour notre moulin. Vous n’avez jamais remarqué qu’il n’y a pas plus sélectif, pas plus élitiste, comme ils disent, c’est-à-dire pas plus aristocrate que nous ?
[…]

Trotski était un arriéré mental : il voulait faire la guerre aux bourgeois. A quoi bon ? Les bourgeoisies mûrissent-pourrissent d’elles-mêmes. Leurs intelligentsias-termites les grignotent par intérieur, leur apprennent à ne pas s’aimer. Or, qu’est-ce qu’une collectivité qui ne s’aime pas ?



ci-contre RUBENS, The Garden of love, 1630

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